Aussi étonnant et invraisemblable que cela puisse paraitre, un camion chargé de plusieurs tonnes de faux médicaments a disparu dans l’enceinte d’une gendarmerie à Conakry. L’incident qui s’est produit au mois de janvier 2019, avait ébranlé le secteur pharmaceutique et avait suscité une forte indignation chez l’opinion publique. La presse en avait évidemment fait son sujet favori bien qu’elle se soit toujours heurté à des obstacles dans la quête de la bonne information. Qu’est ce qui s’est réellement passé ? En faisant une rétrospective de ce qui se disait dans la presse, nous allons tenter de le découvrir.
Au mois de décembre 2018, la brigade MEDICRIME avait mis aux arrêts un camion chargé de plusieurs tonnes de faux médicaments en destination de Kankan et N’zérékoré. Pour rappel, cette brigade avait été mise en place le 14 décembre 2018, six ans après la ratification par la Guinée de la Convention MEDICRIME du Conseil de l’Europe. Sa mission est de lutter contre la criminalité relative à la contrefaçon des produits médicaux et les atteintes à la santé publique. Elle doit veiller au respect et à la mise en œuvre efficace des dispositions de la convention MEDICRIME en république de Guinée. L’arrestation de ce camion était la première véritable action d’envergure entreprise par la brigade. L’ordre national des pharmaciens de Guinée et le syndicat des pharmaciens d’officines privées de Guinée s’était constitué en partie civile et avait déposé une plainte contre les responsables des sociétés MEDCO et DISPROPHARM, importateurs des médicaments incriminés. https://www.guineenews.org/disparition-dune-cargaison-de-faux-medicaments-lordre-des-pharmaciens-appelle-a-la-reclusion-de-medicrime/. La nouvelle fut partagée en conseil des ministres et la décision d’incinérer le contenu du camion avait été prise. Malheureusement, le camion, stationné dans l’enceinte de la gendarmerie mobile numéro 3 de Matam, a disparu quelques jours plus tard avec son contenu estimé à 33 milliards de franc guinéens. C’est du moins ce qu’on pouvait lire sur le site libreopinion.com https://libreopinionguinee.com/conakry-disparition-dun-camion-de-medicaments-dans-lenceinte-dune-gendarmerie/ et également sur mediaguinee.org https://mediaguinee.org/disparition-dun-camion-de-faux-medicaments-dune-valeur-de-33-milliards-vers-une-greve-des-pharmaciens-de-guinee/.
Les pharmaciens et les députés réagissent
Plus d’un mois après la disparition du camion, l’ordre nationale des pharmaciens de Guinée a tenu une assemblée générale extraordinaire le 9 mars 2019 pour prendre des mesures. Sa présidente Dr Hawa Diakité, dans son intervention s’était montrée très préoccupée. « L’heure est grave. Des produits dont l’origine douteuse est confirmée, sont saisis et libérés au défi de nos lois et de notre réglementation, mettant en danger, la vie de nos populations, de nos familles. Ces produits se retrouvent sur tous les circuits informels et de distribution du médicament, la vie de nos proches est en danger… Le pharmacien est marginalisé et diabolisé. Son seul crime étant de manipuler dans la plus grande légalité, l’objet de toutes les convoitises : le médicament ». Ce sont là les propos de Dr Keita qu’on pouvait lire sur kalenews.org https://kalenews.org/disparition-dun-camion-de-medicaments-les-pharmaciens-haussent-le-ton-et-menacent-de-declencher-une-greve/. Malgré la volonté affichée du syndicat des pharmaciens d’officines privées de Guinée d’aller en grève, il n’en sera rien. Selon mediaguinee.org, il avait été finalement décidé d’épuiser tous les autres moyens légaux avant de déclencher une grève dans le secteur. https://mediaguinee.org/disparition-dun-camion-de-faux-medicaments-dune-valeur-de-33-milliards-vers-une-greve-des-pharmaciens-de-guinee/. Le 27 mars 2019, le syndicat des pharmaciens, officines privées de Guinée a été reçu en audience par le président Alpha Condé. L’entretien a porté sur un certain nombre de revendications, parmi lesquelles il y avait la manifestation de la vérité sur le camion disparu. Aux dires de Dr Manizé Kolié, secrétaire général dudit syndicat, le président Alpha Condé avait donné, séance tenante, des instructions au ministre de la santé et aux services de sécurité pour la prise en compte des revendications. Les propos du Dr Kolié ont été relayés par le site emergencegn.net https://emergencegn.net/la-greve-du-syndicat-des-pharmaciens-de-guinee-est-suspendue-dr-manize-kolie/. A l’époque des faits, l’indignation avait gagné presque tous les guinéens et avait fait réagir les députés de la commission santé de l’Assemblée Nationale. Le Dr Ben Youssouf Keita, président de cette commission avait pris d’assaut les médias pour dénoncer cet acte et exiger une enquête. Sur le site mosaiqueguinee.com, Dr Keita affirmait qu’ « En tant que député élu du peuple, nous imposons à ce que ce grand camion rempli de médicaments illicites, soit retrouvé. Il n’est pas question que nous restions les bras croisés, c’est une question de santé publique ». http://mosaiqueguinee.com/affaire-camion-de-medicaments-illicites-disparu-ben-youssouf-keita-alerte-les-medicaments-disparus-sont-une-bombe-pour-les-populations/.
Des coupables qui sont intouchables
Devant la médiatisation de « l’affaire du camion de faux médicament » et surtout la menace de grève brandie par les pharmaciens, le haut commandement de la gendarmerie a procédé à l’arrestation du chef de la brigade Médicrime, le lieutenant Mamadouba Fougué Camara. Cette arrestation avait réjoui le président de la commission santé de l’Assemblée Nationale qui, sur guineematin.com avait affirmé ceci : « Je salut d’abord l’effort du Haut commandement qui, par ce geste, vient très certainement de désamorcer une bombe sociale qui était en préparation. Car, il est de notoriété que les pharmaciens avaient demandé à passer à une grève pratiquement illimitée ». https://guineematin.com/2019/03/12/affaire-faux-medicaments-le-commandant-de-la-brigade-medicrime-en-audition-a-leco-3-de-matam/. Si l’arrestation du chef de la brigade avait réjoui certains, il faut dire que cela avait également surpris beaucoup dans l’opinion. Le même lieutenant Mamadou Fougue Camara était celui-là même qui avait mené l’enquête ayant abouti à l’arrestation du camion, comme le prouve ses propos extrait d’un article de Guineenews.org : «Il y a plus d’une semaine que nous sommes en train de filer ce réseau de trafiquants de faux médicaments en direction de l’intérieur du pays. Il y a quatre jours qu’ils ont fait sortir quatre camions. Nous avons filé deux camions, l’un a été intercepté à partir du carrefour Constantin et l’autre au carrefour de Kissosso. Pour ce deuxième camion de Kissosso, ils ont créé un guet-apens pour dire que le camion est tombé en panne dans l’intention de créer des obstacles. Un premier camion est arraisonné et nous avons rendu compte au Procureur de la République. Nous sommes dans une dynamique de lutte à outrance contre les faux médicaments. Le camion a 120 tonnes de faux médicaments à bord en partance pour Kankan, Kéréouné et N’Zérékoré. Il s’agit d’un grand réseau installé non seulement à l’échelle nationale mais dans la sous-région notamment au Mali, au Sénégal, en Sierra Léone et au Liberia. C’est pour toutes ces raisons que notre pays était devenu dans un passé lointain comme la plaque tournante des faux médicaments. La valeur de ces produits illicites est estimée à plus de 33 milliards de nos francs». https://www.guineenews.org/traque-aux-faux-medicaments-une-cargasion-dune-valeur-de-plus-de-33-milliards-gnf-saisie/. Comment celui qui a arrêté le camion et qui l’avait annoncé à la presse pouvait-il le libérer alors qu’il était sous scellé judicaire ? C’est le site guineeparorama.com qui, dans un dossier d’enquête, avait parlé de pot-de-vin versé au lieutenant Camara par le Réseau des associations des commerçants entrepreneurs marchands et amis de Guinée (RACEMAG). Cette structure, aurait déboursé la somme de 500 millions de franc guinéens pour faire libérer clandestinement le camion. https://www.guineepanorama.com/2019/02/24/exclusif-disparition-dun-camion-de-faux-medicaments-a-medicrime-ce-qui-na-pas-ete-dit-dossier-denquete/. Malgré toutes ces accusations à l’endroit du RACEMAG, ses membres ne seront pas inquiétés et pire, le lieutenant Camara, sera libéré sans aucun procès.
Un an après, la vérité tarde à jaillir, aucun coupable n’a été inquiété. Cependant, le 21 janvier 2020, le ministère de la santé a procédé à l’installation de la nouvelle brigade MEDICRIME en présence de l’Ordre des pharmaciens et le syndicat des pharmaciens d’officines privées de Guinée. https://sante.gov.gn/installation-de-la-brigade-medicrime-en-republique-de-guinee/.
Amadou Korka Bah
amakoba01@gmail.com