Une campagne de distribution du Praziquantel qui avait semé la panique en Guinée

Dans sa lutte contre les maladies tropicales négligées, le ministère de la santé guinéen a engagé en mars 2019 une  vaste campagne de distribution de médicaments dans les écoles. Parmi les produits à administrer aux enfants il y’avait  le Praziquantel, un déparasitant efficace, utilisé comme traitement de première intention de la bilharziose humaine. Seulement, cette opération a créé la panique  quand des effets secondaires du médicament sont apparus chez certains enfants. A Conakry, comme à Dubreka et Coyah (deux villes situées à la périphérie, à environ 50 km de la capitale), la nouvelle s’est vite répandue, s’emparant des réseaux sociaux puis des media traditionnels.

 

Le lundi 18 mars 2019 et les jours qui ont suivi, les médias guinéens, notamment ceux de Conakry, ont presque tous commencé leurs éditions d’information de la mi-journée, par le « drame du Praziquantel ». Cette information faisait suite à une rumeur  selon laquelle, des enfants auraient succombé à Dubreka et à Coyah, après avoir ingéré des médicaments distribués par le ministère de la santé. La matinée du 18 mars a été marquée par les rumeurs les plus folles et improbables sur les réseaux sociaux, créant la panique chez les habitants des villes concernées, particulièrement chez les parents d’élèves. Les premières informations sur les réseaux sociaux, parlaient de campagne de vaccination dans les écoles. Ce qui emmena la plupart des médias à contacter le PEV (Programme Elargi de Vaccination), afin de recouper les informations. Il a fallu attendre l’après-midi pour avoir des informations crédibles. Dans un article publié sur le site Accentguinee.com, http://accentguinee.com/sante-publique-une-campagne-de-distribution-de-deparasitant-aux-enfants-tourne-au-cauchemar,  le médecin chef des urgences à l’hôpital préfectoral de Coyah Dr Naby youssouf Conté, a reconnu que 92 enfants ayant réagi au médicament ont été reçus dans son service. Néanmoins, il a tenté de rassurer la population. Selon lui, ce n’est pas le médicament qui est mauvais mais il y a eu plutôt un manque de communication sur les possibles effets secondaires. Dans le même article, il précisait que « ce sont des réactions simples qui peuvent arriver même dans le circuit normal. Les enfants, peut-être, certains sont partis prendre des produits, ils n’ont pas pris le petit-déjeuner, d’autres souffraient de quelques choses déjà comme les maux de ventre. Avec ça y’a eu des petites réactions.  Dans des cas comme ça, on peut  gérer avec un morceau de sucre ou bien avec du jus sucré ».

Les propos du Dr Conté vont être appuyés plus tard par ceux du Directeur national de la maladie et des grandes endémies, le Dr Timothé Guilavogui. Il s’est exprimé dans la soirée du 18 mars 2019, dans le journal télévisé de la RTG (media public). D’abord, il a démenti la rumeur faisant état de cas de mort avant de reconnaitre les faits réels : « Effectivement, il y a quelques enfants qui ont réagi au produit qu’on donne pour les déparasiter contre la mansonie  que nous connaissons en Guinée. Mais, ce sont des réactions qui sont connues,  qui sont habituelles, qui sont liées aux médicaments, et surtout si les enfants n’ont pas mangé ». Les mêmes propos du Dr Guilavogui avaient été utilisés sur la radio nationale pour expliquer la situation, aussi bien en français qu’en langues du pays. Le lendemain, c’est-à-dire le 19 mars, c’est presque tous les médias qui ont relayé cette communication officielle du ministère de la santé. C’est le cas du site ledjely.com https://www.ledjely.com/2019/03/19/panique-dans-les- écoles-ladministration-du-praziquantel-momentanement-suspendue/

La sortie du Directeur national de la maladie et des grandes endémies a certes eu le mérite de rétablir les faits mais, les rumeurs sur les réseaux sociaux (facebook et twitter) s’étaient emparées de tout le pays, allant même au-delà. La preuve est que quelques medias internationaux qui sont suivis en Guinée en ont fait mention. C’est le cas de la BBC qui parlait de panique dans un article  https://www.bbc.com/afrique/region-47620559. La chaine TV5 a également publié un reportage sur son site, qualifiant l’incident de cauchemar https://information.tv5monde.com/video/guinee-une-campagne-de-distribution-de-medicaments-dans-des-ecoles-vire-au-cauchemar. Quant au site sénégalais Senenews.com, lui parlait de psychose https://www.senenews.com/actualites/societe/guinee-une-campagne-de-distribution-gratuite-de-medicament-cree-la-psychose_267319.html.

Dans les régions du pays, les rumeurs se sont propagées très vite, créant des mouvements de panique jusque dans les villes qui ne sont pas concernées par la distribution du Praziquantel. N’ayant pas reçu d’explications claires et convaincantes, beaucoup de parents d’élèves ont préféré garder leurs enfants à la maison. C’est le cas de Koundara (une préfecture frontalière du Sénégal) où les responsables de l’éducation ont tout simplement demandé à tous les élèves de rentrer chez eux. https://guineematin.com/2019/03/19/koundara-une-fausse-rumeur-paralyse-les-ecoles-ce-mardi/

 

Si la plupart des médias cherchait à calmer la situation en permettant aux cadres du ministère de la santé, de rétablir les faits et de démentir les rumeurs, d’autres pointaient un doigt accusateur sur ledit ministère, qui, disent-ils, n’a pas suffisamment communiqué en amont de cette campagne. Le site journalguinee.com titrait « Campagne de distribution de déparasitant : la population plongée dans l’angoisse ». Dans cet article http://www.journalguinee.com/actualite/campagne-de-distribution-de-deparasitant-la-population-plongee-dans-langoisse-par-ibrahim-kalil-diallo/, le journaliste parle de faute et accuse le ministère de la santé d’amateurisme et de négligence sur le volet communication.

Justement, la faiblesse ou l’absence d’une véritable stratégie de communication de la part du Programme des Maladies Tropicales Négligées (responsable direct de l’activité de distribution de masse du Praziquante, NDLR) pour ce genre d’actions, a renforcé les rumeurs et a donné libre cour aux commentaires. C’est le ministre de la santé, Dr Edouard Niankoye Lamah, lui-même qui l’a reconnu lors d’un point de presse le 20 mars 2019. Dans son compte rendu, le site guinee36.com, a relayé les propos du ministre. http://www.guinee36.com/article/distribution-de-masse-du-praziquantel-a-dubreka_coyah-et-fria_le-ministre-de-la-sante-regrette-et-s-excuse-des_desagrements.php. La même rencontre a été rapportée par le site friaguinee.com dans son article intitulé Guinée: le ministre de la santé reconnait l’insuffisance de communication autour du praziquantel www.friaguinee.net/index.php/2019/03/21/guinee-le-ministre-de-la-sante-reconnait-linsuffisance-de-communication-autour-du-praziquantel/

L’incident provoqué par la distribution du Praziquantel a certes tourmenté l’opinion nationale mais il a également permis au département de la santé de prendre des mesures pour les actions futures. C’est dans cette optique que les journalistes santé ont été invités à prendre part à des sessions de formation quelques mois plus tard. L’une de ces formations portait sur l’orientation des journalistes sur les messages clés à diffuser en période d’interventions sanitaires de masse, relayé par le site sante224.info, https://sante224.info/index.php/2019/08/01/promotion-de-la-sante-un-atelier-dorientation-pour-une-vingtaine-de-journalistes/.

Malgré une forte médiatisation de cet incident malheureux, aucune sanction officielle n’a été  prise contre un quelconque responsable. Ni les journalistes, ni l’Etat n’ont mené de véritables enquêtes pour situer les responsabilités.

 

 

Par Amadou Korka Bah

Journaliste santé

amakoba01@gmail.com